Ce programme étudie le processus de la construction de la citoyenneté, à l’ère du numérique et de la mondialisation. Il s’agit d’analyser les conditions de l’expression publique dans l’espace démocratique autour de trois axes de recherche et un atelier méthodologique.
Dans ce premier axe, nous avons entrepris d’identifier et d’étudier les formes alternatives et participatives des nouvelles sociabilités citoyennes. Quels médias sont créés aujourd’hui en Aquitaine par initiative populaire ?
Lors d’une première phase d’identification de ces médias dits « médias citoyens » ou « médias d’initiative populaire », nous avons découvert un vaste champ de production en Aquitaine. Au fil d’un premier inventaire, qui nous a amené à centrer notre regard sur le web, nous avons répertorié 108 médias d’initiative populaire : 60 web radios, 19 web télévisions et 29 web magazines.
Cette première phase d’inventaire, volontairement non exhaustive, a été suivie par une enquête par observation participante – une cyberanthropologie des médias – afin de pénétrer le monde des pratiques médiatiques virtuelles et mieux comprendre, de l’intérieur, les moyens et les ressors de l’engagement citoyen. L’immersion virtuelle de trois chercheuses de la « caravane des médias » a ainsi permis, dans un deuxième temps, d’assembler des données d’observation sur chacun des média identifié sur la base d’une feuille commune d’analyse d’observation quantitative et qualitative.
L’équipe s’est ensuite, dans un troisième temps, recentrée sur les acteurs, les « média-acteurs de proximité », pour entrer en contact avec ces citoyens dans un entretien sur leur engagement et leur prise de parole dans l’espace public (20 entretiens réalisés).
Cet axe, nommé la « Caravane des médias d’initiative populaire », après une partie de terrain et de collecte des données, est enfin entré dans sa phase de production de données. Cette phase de production comprend deux volets :
Dans le deuxième axe, une autre prise de parole à la marge a été observée, le slam. Mode de déclaration poétique initié à Chicago, le slam vise à une forme d’affirmation identitaire, à la constitution d’un réseau relationnel (une sorte de communauté ouverte) et relève d’une histoire écrite au présent. Autrement dit, les trois paramètres qui définissent un « lieu » selon Marc Augé, opposé aux « non-lieux » dont les villes contemporaines regorgent (espaces de passage, transitoires, anonymes et qui imposent l’anonymat) et à ce que nous pourrions appeler la « ville-musée » (figée dans l’Histoire passée, interdite en quelque sorte au temps présent, à la culture de l’éphémère). Les slameurs réintègrent, à leur façon , la pratique culturelle millénaire de la prise de parole dans un espace public (agora, palabres, scènes antiques).
Chercheur en cinéma, Sébastien Joumel, a entrepris tout d’abord de s’insérer dans la communauté slam de Bordeaux pour éviter le risque de la simple captation de performances et trouver une réponse à la question essentielle posée par ce projet, à savoir « comment filmer le verbe ? ».
Après avoir rencontré quelques difficultés relatives à la réticence des acteurs vis-à-vis d’un regard extérieur, la méthode d’« immersion participante » ou d’« immersion raisonnante » a semblé être la plus appropriée. Devenu slameur lui-même (finaliste en 2014 des deux championnats de France de slam, puis classé 1 ère place en 2015), le chercheur a pu découvrir toute l’étendue de la pratique du slam, de ce qu’elle engage et révèle des pratiquants, de l’écriture à la scène, de l’expérience du public à celle du slameur. De fait, le documentaire final qui était envisagé est devenu un film exploratoire qui interroge aussi bien l’objet de recherche que la posture du chercheur. La méthode a permis de « doubler » le regard sur ce mode particulier d’expression publique : extérieur (le regard du chercheur) et intérieur (celui du pratiquant). Une publication analyse cette expérience d’un processus d’immersion qui bascule d’un double regard vers une double identité.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons étudié les controverses et limites de l’espace démocratique européen. Basée sur un état des lieux des cas de blasphèmes dans quinze pays, notre étude, en prenant un point de vue européen, apporte un éclairage distancié et critique. Trop souvent les avis se fondent sur des représentations schématiques considérant, par exemple, que les mêmes principes sont partagés en Europe. Or, au sein même de l’Union Européenne, les positions divergent. Il n’y a donc pas d’un côté une Europe ou un Occident tolérant et de l’autre des civilisations en marche vers la démocratie. Les cas de blasphème nous révèlent un autre visage de nos pratiques démocratiques, la France, avec la Belgique et la Grande Bretagne, constituant une exception juridique (partout ailleurs en Europe, le blasphème est un délit). Nous constatons qu’il convient, selon les pays, d’affiner l’analyse en distinguant parfois blasphème, atteintes aux sentiments religieux, insultes aux doctrines, trouble à l’exercice du culte, trouble à l’exercice de la liberté religieuse, sacrilège envers un objet de culte, incitation à la discrimination ou à la haine religieuse… Avec l’affaire Rushdie mais surtout avec l’affaire des caricatures, les enjeux autour de la question du blasphème ont pris une dimension internationale. L’essentiel ne se joue plus simplement à l’intérieur de l’Europe mais sur la scène internationale. De plus, les attentats terroristes ont fait basculer ces questions dans l’horreur du fanatisme.
A la dimension juridique s’est superposée une dimension politique c’est-à-dire essentiellement diplomatique. La nécessité de produire des déclarations communes, au niveau européen, impose un vocabulaire commun. Dans ce cadre, la terminologie anglo-saxonne l’emporte. On observe une série de glissements sémantiques significatifs (comme dans le cas du « Politically Correct »). On ne parle plus de blasphème ou de liberté de conscience mais de « freedom of religion or belief » avec une distinction entre deux catégories d’opinions reconnues mais dissociées : « religions » et « convictions ». La liberté religieuse paraît s’imposer comme le droit de « chacun » et « partout », un droit exclusif.
Ainsi, nous nous sommes attachés, à partir d’une série d’entretiens et des affaires jugées dans chacun des pays, à soulever les convergences et divergences européennes sur la question du blasphème qui, pour nous, renvoie à la question du cadre d’exercice de la liberté d’expression. Un film documentaire est prévu sur la base des entretiens filmés au cours de nos missions de recherche dans différents pays européens. Nous avons pu ainsi rencontrer des experts européens, des chercheurs, des acteurs de la vie publique ainsi que l’auteur des caricatures de Mahomet, notamment, qui nous ramène aux dimensions humaines de ces controverses.
Les opérations de recherche envisagées dans le projet mobilisent les méthodes visuelles. La valorisation du travail, grâce aux productions visuelles, porte l’ambition de rencontrer un public et de faire partager les résultats de la recherche. Mais au-delà de cette démarche, notre équipe a souhaité s’engager dans une perspective plus large :
Revue Française des Méthodes Visuelles est une revue interdisciplinaire et internationale. Elle est conçue comme un lieu de discussion et de recherche entre les disciplines sur les méthodes visuelles et, au-delà, sur l’ensemble des méthodes qui ne se limitent pas à l’écrit.
L’ambition de la revue est d’offrir un espace de dialogue aux sciences humaines et sociales et, ainsi, de construire progressivement une vision d’ensemble de ces méthodes. Les chercheurs sont de plus en plus nombreux à mobiliser l’image (fixe ou animée), ou d’autres méthodes alternatives à l’écrit, dans leurs pratiques professionnelles : les sciences de l’homme, comme toutes les sciences, ne sont pas seulement travaillées ou écrites avec des mots. Il s’agit désormais de se tourner vers ces pratiques pour tenter d’en comprendre les apports réels et d’enrichir la recherche et l’enseignement universitaires.
Publiant un à deux numéros par an, la revue comporte :
– Des dossiers thématiques qui s’efforcent de faire le point sur des champs de recherches actuels
– Des rubriques ( Varia, Entretien et Fondements) réservées à des textes, des images et des sons originaux
Lieu de rencontres et de débats, la revue est ouverte à tous et examinera systématiquement toutes les contributions qui lui seront proposées dans les conditions d’évaluation scientifiques ordinaires. Destinée essentiellement aux auteurs et lecteurs francophones en SHS, elle publiera ces textes en français. Cependant, une rubrique « Entretien » accueillera des articles dans d’autres langues.
Revue fondée par :
Alain Bouldoires, MCF Sciences de l’Information et de la Communication, Université Bordeaux Montaigne, Chercheur au laboratoire MICA (EA 4426)
Fabien Reix, Sociologue indépendant, Enseignant à l’Université de Bordeaux et à l’ENSAP, Chercheur associé au laboratoire PAVE (ENSAP)